Je tiens tout d’abord à remercier toutes les personnes qui m’ont soutenu avant et pendant la course mais aussi suite à cet accident. Vous qui m’avez soutenu, merci, vos pensées et vos messages de soutiens m’ont permis de remonter la pente et d’envisager maintenant une suite à cette aventure.
Voici quelques jours maintenant que je suis rentré à Quinta où j’ai retrouvé la marina presque déserte, elle qui était remplie à ras bord de bateaux et de marins s’afférant autour des derniers préparatifs… il y a seulement quelques jours.
Il est 15 h TU quand le départ de la 2eme manche de la Transquadra est donné, le vent souffle assez fort et nous savons que plus au large, il souffle encore plus fort. La particularité de cette ligne de départ est qu’elle est mouillée au portant. Ce n’est pas souvent que nous expérimentons ce type de départ et le manque d’entrainement se fait sentir.
Pour rajouter de la difficulté, les « doubles » viennent perturber nos manœuvres et ma peur de la collision fatale me fait prendre un départ que je qualifierai de mauvais. Le coup de canon retenti et nous voilà bien parti pour une course de près de 2600 miles soit presque 5000 km. Comme prévu j’empanne proprement à la bouée de dégagement. Certains concurrents plus téméraires, spi en l’air font des embardées… Je suis maintenant clair pour envoyer le spi qui pope instantanément me donnant de suite une belle vitesse. Je suis fier de ma manœuvre avec mon spi lourd, le bateau est stable et je rejoins assez rapidement les avants postes.
Sous pilote en mode vent depuis quelques heures le vent monte 25/30 nds et je savoure mon premier coucher de soleil avec la flottille de spi à l’horizon. Je mange la première ration de salade de riz avec son accompagnement… humm… Merci Aude !
La route que nous faisons me convient et je projette de poursuivre jusqu’au moins 60/80 milles de Funchal avant d’empanner, ceci afin d’éviter le dévent de l’Ile. Je vois dans mon rétroviseur, grâce à l’AIS, sur le même cap que moi, le premier double, Yuzu sur Figaro 2, il me rattrape, je sais que je suis légèrement sous-toilé car avec ce vent, je devrai porter mon spi medium mais je me dis qu’il est plus prudent pour la première nuit en mer de garder cette toile solide. La route est longue.
Quand soudain, assis dans mon cockpit, la frontale allumée, sur une accélération du vent, le spi charge et je sens le gréement se détendre, Je lève la tête et vois la barre de flèche se tordre et le mât me tomber dessus assez doucement, j’ai juste le temps de crier « non pas ça ! ». Patatras le mât est sur le pont, il est plié en deux sur le roof devant mes genoux au niveau de ma tête, je lève le regard et je vois la partie avant du mât qui plonge dans l’eau et le feu vert/rouge/blanc éclaire l’eau sombre des abimes.
C’est le choc total et je réalise que c’est ici fini ! Le bateau se fait balloter par la houle mais je dois m’activer pour sauver le gréement. En rampant, je vais à l’avant pour ramener dans le bateau, la partie haute du mât qui est dans l’eau.
Au pris d’efforts surhumains tout en vomissant mon repas, je rentre le mât sur le pont et je l’attache avec les bouts qui traînent. Il y en a partout, je dois couper avec la pince des haubans qui font entraves, le travail est dur, je suis à bout de force.
De retour dans mon carré en rampant, je donne l’alerte sur VHF canal 16 puis sur le numéro Iridium de la course. Je converse avec quelques bateaux qui passent près de moi et en particulier avec « Ma fabrique essentielle » mes amis, Etienne et Véronique qui me réconfortent et me conseillent de m’allonger et de reprendre le ménage au jour.
Le spi est dans l’eau, le génois aussi et la Grande Voile (GV) se fait emporter par le vent de gauche à droite. Je dois sortir de ma bannette pour empêcher le gréement de s’envoler. Je suis vert, dans les deux sens du terme, je vais devoir la couper alors que je l’avais sauvée dans le but de me faire un gréement de fortune. Le vent est trop fort et je ne peux pas prendre le risque du sur accident.
Je suis balloté comme un fétu de paille, mètre par mètre avec le couteau, je coupe la GV, casse les lattes et coupe encore, je suis toujours malade, je dois faire des pauses car je ne tiens plus en équilibre, je m’allonge plusieurs fois avant de reprendre la découpe.
Au petit matin, avec la lumière du jour, c’est un spectacle de désolation, plus personne à l’horizon, je suis seul, avec cet amas de carbone et de morceaux de voiles.
Je coupe les bouts qui tiennent les morceaux de spi qui flottent autour du bateau, je ramène le génois au prix d’un très long nouvel effort, je veux sauver cette voile, pour mon gréement de fortune. Je suis super fier quand j’arrive enfin à avoir le génois sur le pont.
Il fait jour, je peux donc plonger ma go pro sous le bateau pour vérifier que plus rien ne flotte sous la coque. Je repère un bout et un filin de hauban que je remonte.
Me voilà prêt à mettre le moteur en route, il démarre, ouf, je suis sauvé.
Après avoir fait un point j’estime mon ETA et je préviens la direction de course ainsi que mes proches. Le bateau tape contre les vagues et contre le vent, lentement je me rapproche de la délivrance.
A 0.55h TU, j’accoste seul à Quinta do Lorde.
Depuis je prends conscience de ce que j’ai vécu, j’ai dans mon malheur la chance d’avoir pu me sauver ainsi que mon bateau.
Maintenant, nous devons trouver des solutions pour acheminer un mat à Funchal afin que BIG Z puisse continuer à naviguer.
J’ai tant rêvé de cette course, traverser l’Atlantique, ressentir la houle, le vent, sentir l’odeur de la mer, la chaleur des alizées… Je suis choqué et frustré mais l’appel de la mer vous prend et ne vous lâche pas.
Mon sentiment est aujourd’hui partagé, comme Christopher, j’ai l’impression d’avoir grillé une cartouche. Mais combien en avons-nous ?
Je vais prendre le temps d’aller à l’arrivée au Marin accueillir les copains, j’ai besoin de voir le bleu de la mer dans leurs yeux.
Eric Thomas
BIG Z – Cagnard 55